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Memphis Depay : Straight Outta Gones Town

Memphis Depay : Straight Outta Gones Town

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Publié le 20/01 à 12:52 - A. Di Stasio

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Entre deux coups d’éclat sur le terrain, Memphis Depay rappe. Au point de sortir un premier EP fin 2020. Influence de 50 Cent, coulisses, accueil du projet… Focus sur l’autre carrière du capitaine de l’OL, de ses débuts en passant par le rôle thérapeutique que joue le rap dans sa vie.

Des punchlines dès l’intro de 2021. Avec trois buts et une passe décisive en trois matchs, Memphis Depay a attaqué la nouvelle année comme il avait terminé 2020. Les prouesses du capitaine de l’Olympique Lyonnais avant la trêve ? Une panenka contre Nice, une frappe chirurgicale contre Metz, un beau but contre Monaco, mais aussi la sortie d’un projet musical. Après avoir donné un aperçu de son flow à travers une poignée de freestyles et de clips à l’esthétique léchée, le footballeur rappeur néerlandais a sauté le pas avec Heavy Stepper, un premier EP de 9 titres sorti fin novembre.

Le rap tôt sur la route de Memphis

Il faut être sûr de soi pour pousser la chansonnette dans le vestiaire de l’OL. L’effectif lyonnais compte au moins deux paires d’oreilles expertes. Outre Memphis Depay, Karl Toko Ekambi a longtemps fait partie de la MZ, un groupe de rap du 13e arrondissement parisien dont il était membre sous le pseudonyme de MC Loka jusqu’à son passage du Paris FC à Sochaux. La passion de Memphis Depay pour le rap remonte, elle aussi, à très loin. « Il ne s’est pas mis au rap du jour au lendemain. Lorsqu’il était encore un joueur assez confidentiel aux Pays-Bas, il rappait déjà. Ce n’est pas une lubie qu’il s’est découverte ces derniers mois », raconte Brice Bossavie, journaliste rap qui opère notamment sur le site spécialisé L’Abcdr du son et sur Une-deux, le podcast foot et rap de L’Equipe.

Grand fan de 2Pac et 50 Cent, dont les posters recouvraient les murs de sa chambre d’adolescent, Memphis Depay raconte qu’il n’avait que 13 ans lors de sa première session studio. Au printemps 2013, le jeune attaquant du PSV Eindhoven, alors âgé de 19 ans, pose sur une mixtape au sein d’un collectif, celui du label Rotterdam Airlines. La saison suivante, la carrière du joueur décolle. Il brille avec le PSV, débute en sélection puis signe à Manchester United. En janvier 2017, après un an et demi en Angleterre, l’international Oranje choisit l’OL. De quoi relancer sa carrière sportive (5 buts et 7 passes décisives en 4 mois) et musicale puisque, sitôt la saison terminée, le néo-Lyonnais poste un premier clip où il rappe en duo avec Quincy Promes, son coéquipier en équipe des Pays-Bas. Mais entre une vidéo tournée lors de ses vacances à Los Angeles et un EP de 9 titres, comme celui sorti fin novembre, il y a un monde.

Plus qu’une passion, une thérapie

Après un nouveau clip posté sur YouTube fin 2017, l’attaquant rhodanien passe la vitesse supérieure en 2018. Pas embêté par le Mondial russe, il profite du mois de juillet pour se rendre au Ghana, le pays de son père, dans le cadre d’un voyage caritatif. La fondation du joueur de l’OL y aide des jeunes malvoyants et malentendants. Pour faire connaître cette cause, Memphis Depay sollicite Winne, un membre important de la scène rap de Rotterdam, et lui propose une collaboration musicale. Le résultat ? La chanson Akwaaba (« bienvenue » en twi, le principal dialecte ghanéen). Ce projet permet à Memphis Depay de faire la rencontre du beatmaker néerlandais Rass King, producteur du titre et futur architecte sonore de son projet Heavy Stepper. Pendant deux ans, le capitaine lyonnais demande à Rass King de rappliquer lorsqu’il sent l’inspiration arriver. « Je le rejoignais et on enregistrait. Je ramenais un micro, mon ordinateur, et on transformait n'importe quel endroit en studio […] On se voyait pendant les vacances, entre deux matchs ou quand il passait aux Pays-Bas. Il a aussi eu un peu plus de temps pour faire de la musique », détaille Rass King dans un entretien à So Foot.

En décembre 2019, il est en effet victime d’une rupture du ligament croisé antérieur d’un genou lors d’un match contre Rennes. Vient ensuite la crise du coronavirus avec son confinement et l’arrêt du championnat. Memphis Depay peut se consacrer encore davantage à la musique, en parallèle de sa rééducation. Quelques jours après sa grave blessure, il avait d’ailleurs annoncé la couleur : « Vous savez à quel point faire de la musique a un rôle thérapeutique pour moi… Je vais utiliser ma douleur, cette épreuve et cette motivation en studio ». Le Néerlandais écrit et enregistre la majorité de son EP pendant sa convalescence à Dubaï.

En réalité, le rap ne quitte jamais son quotidien, comme le dévoile son producteur Rass King, toujours dans les colonnes de So Foot : « Il écrit tout le temps, il me le dit à chaque fois. Il écrit dans l'avion notamment. Il a un dossier avec des prods, pour tester des choses sur un morceau. […] Je pense qu'il ne pourrait pas vivre sans faire de musique. Il a une vraie passion pour ça, une vraie ambition, du sérieux, et il veut surtout apprendre ». Il y a quelques mois, Memphis Depay avait essayé d’expliquer son rapport au rap dans une interview à Views : « La musique est une grande partie de ma vie, elle m’aide beaucoup à exprimer mes sentiments. Je pense que c’est important de ne pas avoir le football comme seule passion […]. Moi, j’ai la musique et ça m’aide à rester heureux. J’ai été plus qu’un athlète depuis le premier jour ».

« Un truc old school à la 50 Cent »

La réaction de ses collègues footballeurs ? De nombreux coéquipiers lui ont manifesté leur soutien, de Thiago Mendes à ses partenaires en sélection Ryan Babel, Georginio Wijnaldum ou Justin Kluivert, qui apparaît d’ailleurs dans un de ses clips. Moins proches du Néerlandais, Neymar et Serge Aurier ont, eux aussi, validé le projet, comme le Clermontois Akim Zedadka, DJ attitré du club auvergnat. « Lorsqu’il a sorti son EP, on en a parlé entre nous dans le vestiaire. Memphis a tout compris. Sa musique correspond parfaitement à ce qui s’écoute dans un vestiaire de foot. Comme c’est un joueur, on ne le prend peut-être pas au sérieux mais moi, j’ai été agréablement surpris et j’ai mis presque toutes ses chansons dans une de mes playlists », reconnaît Akim Zedadka. Avant de préciser : « Les instrumentales sont variées, avec des sons calmes et d’autres qui bougent plus. Les sons que j’ai préférés ? Big Fish et From Ghana. Blessings m’a également parlé. Il y explique qu’il est parti de rien, il remercie Dieu pour son parcours… C’est un message qui parle à beaucoup de joueurs professionnels. Pareil sur Big Fish où il évoque sa réussite, son mode de vie, où il raconte qu’être un gros poisson attire beaucoup de monde… »

Memphis Depay a assimilé les codes – pour ne pas dire les clichés – du genre : ego trip, attachement aux racines, passages interdits aux moins de 18 ans et signes extérieurs de richesse. Ce qui se traduit à l’écran par des grosses chaînes en or, des scènes de liesse au quartier, des animaux exotiques, des voitures de luxe et des jets privés. Et les références au foot dans tout ça ? Elles sont rares même si sur 2 Corinthians 5:7, il explique que l’on crie son nom dans les stades. Puis déconseille à ses adversaires de le tacler s’ils ne veulent pas qu’il les punisse sur coup franc. Sur ce titre, il convoque aussi Denzel Washington, Scottie Pippen et Mufasa mais pas que. Si les rappeurs français citent régulièrement leurs joueurs préférés dans leurs paroles, la réciproque est vraie : l’attaquant lyonnais cite notamment 50 Cent ou Lil Baby et Gunna, deux rappeurs d’Atlanta.

« On sent deux grosses inspirations dans sa musique. Dans les sonorités, les mots qu’il utilise, les intonations, les flows, on entend clairement du rap américain. Il y a un truc old school à la 50 Cent, qui est sa grosse influence. Mais on retrouve aussi la nouvelle génération. Je sais aussi qu’il est fan de Kevin Gates, Jay-Z, Drake et Nipsey Hussle », explique le journaliste rap Brice Bossavie. « Sa 2e grosse inspiration, ce sont les musiques africaines et des Caraïbes. Son beatmaker et lui adorent Burna Boy par exemple. On retrouve ces rythmiques d’Afrique et ce côté dancehall sur le morceau From Ghana, sur lequel il se débrouille vraiment bien d’ailleurs ». Dans cet EP en anglais, Memphis Depay ne fait pas que rapper. Il chante. Comme Drake, dont il admire la polyvalence au point de le désigner comme sa collaboration rêvée.

« Fort de sortir un EP de ce niveau »

Mais alors, que vaut le Lyonnais derrière le micro ? Pour commencer, Memphis Depay possède un public qui va au-delà des fans de foot désireux de satisfaire leur curiosité. La dizaine de chansons et freestyles du Néerlandais cumule en effet 34 millions de vues sur YouTube et plus de 15 millions de streams sur Spotify. « Franchement, c’est tout à fait écoutable, ce n’est pas ridicule. Il chante plutôt juste, les morceaux sont élaborés… Je pense notamment à From Ghana, 2 Corinthians 5:7 ou D.B.A., sur lequel il rappe vraiment pas mal. Ce n’est pas Kendrick Lamar mais c’est solide, il y a une musicalité et c’est bien foutu », juge Brice Bossavie. « En termes de flow et de textes, ça reste un peu léger dans le sens où ça manque un peu de personnalité, ça ne se démarque pas, mais c’est bien fait. Ça me rappelle ce qu’a pu faire le Youtubeur Mister V, à savoir un autre mec qui ne vient pas du rap mais qui aime tellement cette musique qu’il en comprend les codes et réussit à les reproduire ».

Son beatmaker Rass King salue, lui, l’évolution de ce rappeur pas comme les autres : « Au début, on a vu que Memphis avait du potentiel. Il était bon et il a beaucoup progressé ces deux dernières années. […] Surtout qu’il n'a pas vraiment le temps de progresser en tant qu'artiste avec son emploi du temps, les matchs, et pourtant il a réussi à le faire ». Car ces derniers mois, le capitaine lyonnais a disputé une demi-finale de Ligue des champions avant de signer 11 buts et 5 passes décisives sur la première moitié du championnat 2020/2021. « Quand tu prends en compte le fait que c’est le projet d’un footballeur professionnel, qui s’entraîne tous les jours, qui doit gérer une forte pression et qui n’a pas le temps de passer des nuits entières en studio comme certains rappeurs, c’est fort d’arriver à sortir un EP de ce niveau. Surtout quand tu es Memphis Depay, la star de l’Olympique Lyonnais. Et même si l’OL ne dispute pas la coupe d’Europe cette saison, l’enchaînement des matchs est tel qu’un joueur comme lui ne devrait pas avoir de temps à consacrer à une autre passion, au point de l’afficher ainsi sur les plateformes de streaming. Et là, il n’est pas ridicule », estime le critique rap Brice Bossavie. « Si j’écoute cet EP sans savoir qu’il s’agit d’un footballeur, je vais me dire que c’est pas mal. Et c’est déjà beaucoup parce qu’il y a pas mal d’exemples de joueurs qui se sont essayés au rap pour un résultat gênant ».

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